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Organisation sociale

Ethnie, Un concept discuté

Massivement utilisé depuis son invention au XIXe siècle, le concept d’ethnie est cependant aujourd’hui encore largement discuté quant à sa définition et sa portée. Fait éternel du continent pour les uns, invention en grande partie coloniale pour les autres, outre qu’il est mal défini : « Le concept d’ethnie compte parmi les plus usitées et les moins précises des notions sociologiques », le concept ethnique est accusé d’être parfois utilisé à tort, là où l’analyse sociale sans coloration ethnique suffirait.

Ethnicity, a disputed concept

La famille et l’ethnie sont les deux piliers de la sociologie du continent.

L’Afrique est souvent présentée comme une mosaïque de peuples et de cultures (on compte plus de 1 000 ethnies sur le continent), c’est la principale caractéristique de sa sociologie car l’ethnie est le fondement de la solidarité et de la cohésion communautaire bien plus que l’État-nation.

L’aspect clé du fait ethnique est le sentiment d’appartenance : « L’ethnie constitue donc un ensemble […] que l’on s’accorde à définir à partir d’un critère empirique : celui de la conscience ethnique » ; elle est la base de l’identité à laquelle se réfèrent les individus, sur le fondement d’une ascendance commune revendiquée, réelle ou mythologique. Multiséculaire ou inventée par le colonisateur, revendiquée par les individus quelle qu’en soit la réalité scientifique, elle peut être mobilisée militairement, comme ce fut tragiquement le cas au Rwanda, ou pour bénéficier de soins à l’hôpital ou, plus pacifiquement encore, pour traiter d’une tradition musicale.

L’ascendance commune est relatée dans de grands mythes fondateurs, qui existent sur tout le continent, certains étant communs à plusieurs ethnies. Ces mythes cosmogoniques servent encore de références à l’époque contemporaine ; ils se transmettent de nos jours au travers de la littérature écrite après l’avoir été oralement.

Ethnicity, a disputed concept

En parallèle, les systèmes de parenté, famille élargie, clans et lignages, sur les mêmes fondements d’ancêtres communs, en principe réels dans ce cas, complètent les bases sociales fondamentales : « Une organisation sociale puissante fondée sur la famille étendue exerce une action de premier plan dans la stabilité de la société ».

Les structures sociales précoloniales et les modes de gestion qui les caractérisent coexistent aujourd’hui avec les États modernes. Les relations sociales se régulent selon des étages sociaux distincts : « il a dans la société africaine des affaires qui relèvent du niveau du lignage, de l’ethnie, de la tribu… et d’autres qui relèvent du niveau de l’État » ; les régulations sociales, y compris dans certains aspects juridiques, échappent à l’autorité étatique.

En effet, l’État-nation et les concepts relatifs ont été brutalement importés via la colonisation, sans qu’il y ait eu un temps de maturation historique, particulièrement dans les sociétés segmentaires et lignagères : « il est de vastes régions en Afrique qui n’ont connu avant la colonisation ni chefferies ni États, l’organisation sociopolitique étant de type lignager. Même là où existèrent de puissants royaumes ou empires, l’organisation politique ne suivait pas le modèle occidental, la différence essentielle étant l’absence de recouvrement systématique entre le royaume ou l’empire et un territoire délimité. Cette importation ne s’est pas faite sans heurts, y compris dans les consciences individuelles et les institutions préexistantes ont perduré de facto mais aussi de jure, les États actuels confiants souvent et officiellement des fonctions aux chefs traditionnels aujourd’hui encore.

Les deux systèmes ne fonctionnent pourtant pas sur les mêmes bases, les fonctions du chef coutumier étant culturellement très éloignées de celle d’un fonctionnaire d’administration centrale ou locale. Le rapport à la terre et au pouvoir sont notamment très différents de la conception purement juridique et il existe une composante sacrée évidemment absente des bureaux administratifs.

En certains endroits, l’Afrique de l’Ouest, dans une quinzaine de pays (Mali, Guinée…) et autant d’ethnies (Malinkés, Bambaras…), connaît aussi un système de castes liées au métier, hérité de l’empire du Mali du XIIIe siècle. Les castes les plus typiques sont celles des forgerons (considérés, même dans les sociétés sans castes, comme ayant des relations particulières avec le monde spirituel) et des griots, porteurs de la culture orale traditionnelle.

Le rapport africain à la terre et les formes d’organisation productives agricoles se distinguent de leurs homologues des autres continents. Concernant la production agricole, le lot commun, y compris en Afrique, est l’étape de la société paysanne, organisée autour de l’autoproduction familiale.

Mais la distinction fondamentale avec les autres parties de la planète, c’est que la terre n’est pas un bien matériel susceptible d’être possédé formellement par un individu, qu’il soit simple citoyen ou dirigeant d’une organisation politique (chefferie ou empire). Même la monarchie d’essence divine ne s’accompagne pas pour autant, en Afrique, d’une possession formelle de territoires délimités. Le « chef » africain n’est pas essentiellement un dirigeant politique gérant des terres, il était (et reste dans ses formes traditionnelles), un intercesseur entre le sacré et le profane ; dans la conception africaine, « la terre n’est pas un bien matériel au sens où nous l’entendons en Occident, mais le lieu sacré où se rencontrent le visible et l’invisible. » Les figures du propriétaire terrien et de l’aristocrate foncier sont absentes du système de production africain: « la conception que se font de la propriété privée le droit romain, le Code civil et Marx ne s’est développée en Afrique que pour certains biens meubles d’utilisation domestique mais pas pour cet essentiel facteur de production qu’est la terre. » De ce fait, la « tenure » africaine, y compris contemporaine, est originale au regard des conceptions occidentales et asiatiques, et complexe par le fait.

Cela ne fut pas sans causer des difficultés au moment de la colonisation. Ainsi, la pratique de l’indirect rule britannique, consistant à s’appuyer sur des leaders indigènes, conduisit à fabriquer des chefs là où il n’y en avait pas. Ce fut le cas au Nigeria par exemple, pour les Igbos ; leur système social décentralisé, inadapté aux conceptions européennes et aux visées coloniales, lesquelles nécessitaient un chef territorial, amena la création de chefferies artificielles.

De cette conception du rapport à la terre découle une problématique foncière. À l’époque actuelle, le droit coutumier et le droit foncier moderne sont encore et toujours en concurrence, le premier étant frontalement attaqué car considéré comme empêchant la modernisation et le développement de l’agriculture sur un continent en proie à l’insécurité alimentaire. Les femmes représentent jusqu’à 70 % des exploitants agricoles en Afrique subsaharienne mais le droit coutumier fait qu’elles n’ont pas de titres de propriété sur les terres qu’elles exploitent, la coutume ne concédant que des droits d’usage. Sachant que, par ailleurs, 10 % seulement des terres rurales africaines sont enregistrées, 90 % sont donc gérées de manière informelle et coutumière. Le développement de la propriété foncière et la prise en compte de la place des femmes sont donc considérés comme des leviers indispensables au développement agricole du continent.

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